Le mythe de Jupiter (ou Zeus)


Les discordances entre les diverses traditions relatives à Jupiter

Rien de plus discordant et de plus hétérogène que les traditions relatives à Jupiter, telles que nous les ont léguées les mythologues grecs et romains. Altérées d'âge en âge par les fictions des poètes et le mélange des légendes étrangères à la Grèce primordiale, elles ont fini par former un amas confus qui a donné beau jeu aux évhéméristes et aux syncrétistes. Ainsi Varron imagine trois cents Jupiters, tandis que Cicéron en admet trois seulement. Le premier, dit-il, naquit de l'Éther, c'est l'Uranus des vieilles théogonies. Le second était fils d'Uranus, et par conséquent le même que Saturne. Le troisième, né dans l'île de Crète, était fils de Kronos (Saturne).
Que Varron ait exagéré en prenant pour autant de dieux les surnoms et les attributs d'un seul ou de plusieurs, que d'un autre côté Cicéron se soit renfermé dans un cercle trop restreint, c'est ce que nous ne discuterons pas ici. Cette question se rattache à celle de l'histoire de la Grèce tout entière, et par suite à celle du monde, puisque sa solution dépend de la lumière qui sera jetée plus tard sur l'histoire générale des religions et sur la spontanéité et la transmission des croyances aux puissances supérieures à l'homme. Nous nous contenterons de remarquer que, en fait, les évhéméristes se sont le plus approchés de la vérité par leurs individualisations. Ils ont subdivisé l'être complexe des époques éclectiques en une multitude d'individus humains. Là est la faute, mais dans l'idée de division réside un excellent principe. Et il faut en revenir là, puisqu'on ne se persuadera jamais que les peuples avec lesquels les Grecs se sont trouvés en relation aient attendu leur arrivée pour se faire une religion. La proposition inverse est également fausse. Les Cariens adoraient Ogoa, nom carien de Jupiter, dit Strabon. Mais les Cariens étaient autochtones, et il faut bien les en croire. Leur Ogoa était donc un dieu particulier à la Carie. Comme il représentait la puissance suprême, ainsi que le Zeus (il est du moins permis de le supposer), les Grecs identifièrent ces deux divinités, et prétendirent par suite que les Mysaliens adoraient Zeus sous le nom d'Ogoa.
De telles transitions sont naturelles à l'esprit. On sent combien il serait facile d'étendre ces remarques, mais tel n'est pas notre but. Nous allons seulement examiner l'être du dieu suprême des Hellènes, dans son essence et dans ses attributs, en distinguant soigneusement l'âge des diverses traditions.


Le Jupiter homérique

Fils ainé de Saturne et de Rhée, et frère-époux de Junon, Jupiter est le maître et le père des dieux et des hommes. Il a pour frères Neptune et Pluton, avec lesquels il partagea l'empire. Le sort donna la mer à Neptune ; à Pluton échurent les enfers ; et Jupiter eut pour lui toute l'étendue du ciel, les nuées et les plaines de l'air ; la terre et l'Olympe demeurèrent en commun. On voit ici que, suivant la tradition, le droit d'aînesse ne fut nullement invoqué dans la répartition des trois lots. Mais en sa qualité de premier-né, Jupiter n'en fut pas moins supérieur à ses frères, « car les Furies suivent toujours les aînés, prêtes à leur obéir. »
Dieu suprême, dieu olympien, il se fait obéir des dieux comme des hommes. C'est lui qui gouverne tout par sa suprême sagesse. Il est le fondateur des empires, le protecteur de l'ordre, le régulateur divin qui préside aux assembles et aux conseils populaires. Sa protection s'étend aussi sur les familles. Les demeures sont sous sa sauvegarde. Juge suprême du serment, il punit le parjure, protège l'exilé et l'hôte suppliant. C'est de sa main terrible que les méchants reçoivent leur punition, car il est le Voyant qui ouvre un œil éternel sur le monde, et de qui proviennent et le bien dont il se plaît à combler les mortels, et le mal dont il les frappe quand ils l'ont mérité. Toute divination émane de lui.
Sa demeure est sur l'Olympe, montagne divine qui s'élève jusqu'aux cieux. Il y habite dans un palais somptueux. Ses armes sont l'éclair et le tonnerre. Et quand il agite l'égide, il appelle les tempêtes et fait gronder le tonnerre. De là ses surnoms d'Euryopa, d'Hypsibrémétès, d'Éribrémétès, d'Érigdoupos, de Terpicéraunos, d'Argicéraunos, de Stéropégéréta, d'Astéropétès, etc. Il assemble ou dissipe les nuages à son gré. Aussi, plus tard, les physiciens l'ont-ils identifié avec l'air même.
Époux de Junon, dont le caractère ambitieux et inquiet trouble souvent l'exercice de son pouvoir, et qui osa même conspirer contre lui, Jupiter la traite comme une déesse qui lui est soumise, et nullement comme son égale. Il lui fait de nombreuses infidélités, et lui avoue même son commerce avec Dia, dont il eut Pirithoüs, avec Danaë, qui le rendit père de Persée, ainsi qu'avec Sémélé, Europe, Cérès et Latone. Postérieurement à Homère, les poètes ont agrandi le cercle des amours du roi des dieux. Au nombre de ses nombreuses maîtresses figurent Anaxithée, Antiope, Astéropé, Callisto, Cambysé, Carmé, Cassiopée, Danaé, Dia, Dione, Élara, Électre, Euryméduse, Eurynome, Hésione, Himalie, Léda, Maïa, Métis, Mœra, Néère, Niobé, Pluto, Protogénie, Pyrrha, Rhéné, Taigète, Thalée, Thyia, Thymbris, Thrace. Les plus célèbres de ses nombreux enfants sont Vulcain, Hébé et Mars, nés de Junon, et Minerve, qu'il fit jaillir de son cerveau.
Lors de la guerre de Troie, il accorda la victoire aux Troyens, sur la demande de Thétis, jusqu'à ce qu'Achille se fût laissé fléchir par les prières des Grecs. Lui seul, parmi les dieux, qui se passionnent pour tel ou tel de leurs favoris, reste immuable dans sa volonté, et prend plaisir à voir les immortels descendre de leur rôle divin pour se livrer aux grossières passions qui agitent le cœur des hommes.
En somme, Jupiter, qui, dans la conception primordiale des peuples helléniques, était un dieu-nature, et ainsi le prouvent la consécration du chêne, dont les fruits nourrissaient les premiers hommes, le lait, le miel et la corne d'abondance figurant dans les traditions crétoises, les croyances qui soumettaient à son pouvoir immédiat la pluie, les saisons, l'année, Jupiter, disons-nous, apparaît déjà à l'époque homérique, comme, divinité nationale et politique des Grecs, comme roi et père des hommes, comme fondateur et vigilant protecteur de toutes les institutions consacrées par les rois, les mœurs et la religion.


Le Jupiter d'Hésiode

Fils de Rhée et de Saturne, qui dévorait ses enfants à mesure qu'ils venaient au monde, Jupiter fut sauvé par les soins de sa mère. Cachée à Lyctus en Crète, Rhée y fut soulagée de son fardeau, et trompa son époux en substituant une pierre à la place de l'enfant. Ici les traditions commencent à diverger singulièrement, et fixent tour à tour le lieu de la naissance du dieu à Olène, à Egium, à Ithome, à Thèbes en Béotie, sur l'Ida mysien, en Crète, etc.
Quoi qu'il en soit, élevé en Crète, suivant Hésiode, Jupiter y vécut sans être inquiété pendant que Métis arrachait ses frères à la voracité de Saturne. Les Titans ayant attaqué celui-ci, Jupiter vint à son secours, délivra les Cyclopes, qui lui donnèrent le tonnerre et la foudre, et rendit aussi la liberté aux Hécatonchires, Briarée, Cottus et Gyès. S'étant adjoint d'aussi puissants auxiliaires, il attaqua les Titans, et les vainquit dans un combat terrible, dont la Gigantomachie, imaginée postérieurement, n'est qu'une pâle refonte. Il eut ensuite à lutter contre Typhon, fils de la Terre et du Tartare, et le foudroya. Apollodore raconte cette lutte un peu différemment. Maître absolu du mondé, on voit alors Jupiter tourner ses regards vers la terre, qu'habitait une race d'hommes créée par les dieux immortels, et à laquelle succéda une génération tirée du frêne. D'autres traditions font naître les hommes des cailloux lancés par Deucalion, ou des fourmis.
Jupiter prit pour épouse Métis, qui eut de lui Minerve. Mais, craignant qu'elle ne mit au monde un fils, lequel, suivant l'arrêt du destin, devait le détrôner, il ôta l'enfant à sa mère, et le cacha dans son propre corps. La seconde femme du maître des dieux fut Thémis, dont il eut les Heures et les Parques. Il fut encore père des Grâces, des Muses, de Proserpine, d'Apollon et de Diane, d'Hébé, de Mars, d'Ilithyie. D'après la théogonie d'Hésiode, la famille des Cronides se compose de douze grands dieux: Jupiter, Neptune, Apollon, Mars, Mercure, Vulcain, Vesta, Cérès, Junon, Minerve, Vénus, Diane.


Le Jupiter Arcadien (Zeus Lycæos)

Suivant les traditions arcadiennes, Jupiter était né ou sur le Lycée, ou sur le Parrhase, et fut élevé par Théisoa, Hagno et Néda, que Callimaque relie à la tradition crétoise, en disant qu'elle transporta le jeune dieu de Crétée sur le Lycée à Cnosse en Crète. La première donna son nom à une ville, la seconde à une source, Néda à un fleuve. Un bas-relief qu'on voyait à Mégatopolis représentait ces trois nymphes sous les noms de Naïs, d'Anthracia et d'Hagno.
Lycaon, fondateur de la première ville, donna à Jupiter le nom de Lycæos, et lui éleva un temple. Ayant osé lui offrir des victimes humaines, il fut changé en loup. Le temple du dieu était un lieu sacré, que nul ne devait profaner sous peine de mourir dans l'année. Quelque homme ou quelque animal y entrait-il, chose étrange, il ne jetait plus d'ombre. Une autre tradition, conservée par Plutarque, dit que les Arcadiens lapidaient ceux qui osaient s'approcher de l'édifice sacré. Ils n'échappaient à la mort que par une prompte fuite.
Sur la plus haute cime du mont Lycée, se trouvait un autel consacré à Jupiter. Deux colonnes y soutenaient des aigles d'or.


Le Jupiter de Dodone (Zeus Dodonæos, Pélasgicos)

Le plus ancien oracle de la Grèce était consacré à ce dieu, qu'on adorait à Dodone en Épire près du mont Tomare. Achille l'invoque dans Homère. Célèbre surtout comme dieu prophétique, on lui avait consacré le chêne.
Les mythes varient beaucoup sur la circonstance qui donna lieu à l'établissement de l'oracle. Suivant une tradition égyptienne, rapportée par Hérodote, une colombe, venant de la ville des Thèbes en Egypte, s'abattit sur un des chênes de la forêt de Dodone et fit entendre ces mots: « Qu'il y ait ici un oracle de Jupiter. » Ou bien, Deucalion, arrivant en ce lieu après avoir échappé au déluge, consulta le chêne prophétique de Jupiter, et lassa à ce pays le nom de Dodone. Les prêtres qui y rendaient des oracles s'appelaient Tomures, Helles et Selles. Ils se livraient à toute l'austérité de la vie monastique, ne lavant jamais leurs pieds et couchant à terre. Plus tard, ils furent remplacés par trois prêtresses nommées Péliades, c'est-à-dire colombes, parce que la colombe était originairement l'oiseau prophétique de Dodone.
L'oracle se rendait de trois manières différentes, autant du moins qu'on peut en juger par les récits un peu confus des poètes et des mythographes:

  • D'après le bruissement des feuilles du chêne sacré, qui en prenait le surnom de prophétique. Une planche, faite du bois de cet arbre merveilleux, fut employée dans la construction de l'Argo.
  • D'après le murmure de la source qui coulait au pied de l'arbre.
  • D'après le son que rendaient des bassins d'airain contre lesquels le vent faisait vibrer la chaîne d'un fouet placé dans la main d'une statue représentant un enfant.

Il y avait aussi en ce lieu, suivant la tradition, des nymphes (Hyades) qui avaient élevé le jeune dieu. Les Hyades apparaissent le plus communément comme nourrices de Bacchus, mais il y a dans les mythologues plusieurs autres exemples de cette confusion des deux divinités.
A Mégalopoils, on voyait une statue de Jupiter représenté sous la forme que l'on donne ordinairement à Bacchus, et tenant un thyrse qui supportait un aigle.


Le Jupiter crétois (Zeus Dictæos, Crétagénès)

Nous avons rapporté plus haut ce qu'Hésiode en dit dans la Théogonie, où il apparaît comme Jupiter Crétois-Olympien. C'est le dieu caché par Rhée, dans une grotte du mont Dicté, et élevé par les Curètes et par les nymphes Adrastée et Ida. Celles-ci le nourrirent du lait de la chèvre Amalthée, et les abeilles qui essaimaient dans la montagne lui apportèrent leur miel. On nomme encore, au nombre des nymphes qui prirent soin de Jupiter enfant, Cynosure, Hélice, les nymphes de Géreste, Œnoé. Callimaque sépare Adrastée des nymphes du mont Dicté, et en fait la sœur des Curètes. Des colombes, dit Athénée, apportèrent l'ambroisie à Jupiter de par delà l'Océan. Pour récompenser les abeilles qui l'avaient nourri, le dieu leur donna le privilège de braver le vent et la neige, et teignit leurs corps délicats d'une belle couleur d'or.
Le culte de Jupiter était célèbre en Crète depuis une haute antiquité. Parmi les endroits particulièrement consacrés au dieu, il faut remarquer Cnosse dont on attribuait la fondation aux Curètes et où l'on voyait la grotte de Jupiter, Gortyne où Europe prit terre sur le dos du taureau, Præse, Hierapytne, Biennos, etc.
Comme dieu national hellénique, Jupiter avait à Olympie un temple célèbre, auprès duquel les Grecs se réunissaient tous les quatre ans en assemblées et célébraient les jeux olympiques. Il y était adoré comme père des dieux et des hommes, et comme divinité suprême dont toutes les nations helléniques reconnaissaient le culte. C'était là qu'était la célèbre statue exécutée par Phidias. Elle est trop connue pour que nous la décrivions ici. Une tradition éléenne qui attribuait à Hercule la fondation des jeux olympiques reliait ainsi ce héros au dieu souverain: pour dérober Jupiter à la fureur de Saturne, auquel un temple était consacré à Olympie, dans l'âge d'or, Rhée le confia aux Dactyles Idéens: Hercule, Pæonæus, Épimède, Jasius et Idas, qui s'étaient rendus de l'Ida à Élis. Hercule proposa des courses à ses frères, et couronna le vainqueur d'olivier. Ce fut là l'origine des jeux olympiques.


Le Jupiter romain

Le Jupiter romain (Capitolinus, Optimus, Maximus) n'est qu'un être mixte, provenant de la fusion du dieu de la foudre, Tina ou Tinia, adoré par les Etrusques, avec le Zéus hellénique. Ainsi que les Grecs, les Romains placerent cette divinité en tête de toute hiérarchie religieuse et politique. Le culte de Jupiter Ammon (Jupiter cornu) fut transplanté de la Libye à Rome lorsque les doctrines égyptiennes commencèrent à se répandre en Italie.


Le culte de Jupiter

Le culte de Jupiter était répandu dans le monde entier. On célébrait en l'honneur de ce dieu un grand nombre de fêtes, parmi lesquelles il faut distinguer la Panégyrique d'Olympie, les Lycées d'Arcadie, les Diasies athéniennes, les Sthénies d'Argos, etc. L'aigle, le chêne et les cimes des montagnes lui étaient consacrés. Ses attributs les plus ordinaires sont l'aigle, le sceptre, la foudre, la patère, la victoire, la corne d'abondance (Zeus Ombrios).
Le Jupiter Olympien porte une couronne d'olivier, celui de Dodone, une couronne de feuilles de chêne. On lui sacrifiait des chèvres, des taureaux et des vaches. L'art plastique a représenté Jupiter comme le roi et le père des dieux et des hommes. C'est surtout Phidias qui, dans la fameuse statue du dieu à Olympie, a su réaliser cette belle conception. Les traits caractéristiques des images de Jupiter sont la touffe de cheveux qui, s'élevant du milieu du front, retombe de chaque côté de la tête, la courbure de la partie inférieure du front, la grandeur des yeux, et l'ampleur de la barbe, qui descend sur la poitrine en flots épais. Quelquefois le dieu apparaît avec des traits moins austères. D'autres fois la colère enflamme son visage terrible. Mais le plus habituellement, tout l'ensemble du dieu respire un calme majestueux, et fait reconnaître à tous le maître puissant qui se repose dans sa sérénité. Il est tantôt assis, tantôt debout. Fréquemment aussi Jupiter apparaît dans de grandes compositions avec la chèvre Amalthée, Rhée, ou les Curètes ; combattant les géants ; ou avec ses maîtresses, Europe, Io, Léda ; ou enfin avec les Heures, les Parques, Juno, Minerve et Ganymède.
Par ailleurs, les poètes désignent quelquefois Pluton par l'épithète de Jupiter Stygius.

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