Le mythe de Parques (ou Moirai ou Parcae)


Les déesses du destin

L'antiquité adorait généralement les Parques comme des déesses qui réglaient le destin du monde et présidaient en particulier à la vie de chaque homme. Mais cette manière de les concevoir n'est pas conforme à l'esprit des temps primitifs, au moins quant à ce qui regarde le gouvernement de l'univers.
Le nom par lequel les auteurs postérieurs à Homère désignent les Parques se trouve, dans ce poète, le plus souvent au singulier, et désigne, avec quelque confusion, tantôt la Destinée générale qui pèse sur les hommes et les choses, tantôt l'idée plus restreinte d'une Destinée qui file la vie de chaque mortel. Sous le premier point de vue, nous ferons remarquer que le Sort n'avait pas alors cette individualité, en quelque sorte indépendante de la volonté suprême du maître de l'Olympe, qui apparaît clairement dans Hésiode et dans les tragiques. Aussi sa personnification est-elle très vague et très confuse. La Moira semble n'être que la parole même de Jupiter. En renversant la progression qui arriva à développer le pouvoir des Parques, on discerne l'existence, purement abstraite, de l'idée première du Sort. Cette idée, se dessinant plus fortement, et tendant à se détacher de la puissance suprême, pour représenter la fatalité, on la symbolisa en une seule Parque, présidant à la vie de chaque homme, comme le montrent, et les monuments de l'art antique, et l'usage, conservé dans les poètes de tout âge, de mentionner souvent Clotho, la première et la principale Parque, au lieu des trois sœurs.
Plus tard, cette Parque primordiale se dédoubla. Ainsi, à Delphes, l'on adorait deux Parques. Postérieurement encore, on imagina trois Parques, triade mystérieuse, qui symbolisait les trois actes de l'existence humaine, la naissance, la vie et la mort. Mais, au temps d'Homère, l'idée de la puissance suprême de Zeus dominait encore trop fortement tout le système religieux, pour qu'on fût arrivé à cette précision qui devait amener fatalement un antagonisme entre les divinités olympiques et le Destin.


Les similitudes et les différences entre Moira et Æsa

Dans l'Iliade, la Parque, ainsi que nous l'avons dit, apparaît d'une manière indéterminée, et semble être identique avec Æsa, Imarmène et Pépromène, du moins dans un sens général. Nous n'examinerons pas ici, faute de renseignements suffisants sur la haute théologie de l'antiquité, les différences qui séparaient, comme on le préjuge d'après la forme grammaticale des noms, le destin passif (Imarmène, Pépromène} du destin actif, dont la conception est sans doute plus moderne, quoique ces quatre noms soient employés indifféremment par Homère. Nous nous contenterons de remarquer que Moira et Æsa paraissent être identiques. Ainsi Jupiter en parlant d'Achille s'exprime ainsi: « Il souffrira tout ce que la cruelle Parque (Æsa), en filant la trame de sa vie dès le premier jour de sa naissance, en a ordonné. » Plus loin Hécube s'écrie: « Lorsque j'enfantai Hector, la Parque puissante (Moira) qui lui fila sa destinée, arrêta qu'il rassasierait les chiens rapides. » L'identité des deux déesses, qui semble résulter du rapprochement de ces passages, est mise en doute cependant par les paroles d'Alcinoüs, dans l'Odyssée: « Quand il (Ulysse) sera chez lui, il souffrira tout ce que la destinée (Æsa) et les fileuses inexorables lui ont préparé par leurs fuseaux, dès le moment de sa naissance. »
Si l'on entend par Cataclothes les Parques, on notera ici, ainsi qu'on a pu le faire dans un passage unique de l'Iliade, l'idée de pluralité attribuée au Destin, comme le prélude d'une personnification moins vague: Æsa et les Moiræ seraient alors des divinités différentes, revêtues des mêmes fonctions. D'une autre part, ces Cataclothes seraient-elles les Ilithyies, comme l'ont pensé quelques mythologues? Mais les Ilithyies, dont le culte se confondait souvent avec celui des Parques, par une relation d'idées assez naturelle, n'ont pas mission de filer la destinée de l'homme. Notons, du reste, que le mot de Cataclothes n'indique pas indubitablement les Parques, car le verbe filer s'applique parfois dans Homère à l'action générale des dieux sur le sort des mortels.


Le pouvoir relatif des Parques

Il résulte de ces observations que les poésies homériques, exprimant le vague des croyances, souvent contradictoires, de leur époque, ne donnent pas aux Parques de personnification physique précise. Elles n'en ont guère plus au moral. Et c'est ce qui ne sera pas douteux, si l'on considère que dans l'Iliade la Parque, qui a mission de diriger d'une manière insensible la vie humaine, selon les décrets des dieux, ne domine pas, avec une volonté de fer, les actions des mortels. C'est Jupiter, père des dieux et des hommes, qui pèse la Moira, le destin de chacun, et le modifie à son gré. Quand le malheureux est sur le point d'être entraîné, le maître de l'Olympe peut le sauver encore. L'homme lui-même peut influer sur son destin, sur sa Parque, qui ne détermine son sort que d'une manière relative. Ainsi Egisthe, averti par Jupiter, pouvait s'épargner les maux qui l'accablèrent, en ne séduisant pas la femme d'Agamemnon.
On voit combien cette conception primitive qui ensevelit le destin filé par les Parques, dans le sein de Jupiter, et le subordonne à ses arrêts tout-puissants, laissant le champ libre à la volonté, est supérieure à la tendance fataliste des tragiques, chez lesquels les Parques devinrent des divinités indépendantes.
Postérieurement à Homère, la mythologie conserva quelques traces de l'antique suprématie du maître de l'Olympe. Par son ordre, les Parques se rendent auprès de Cérès irritée. Ce sont elles qui gravent sur des tables indestructibles son immuable volonté. Lors de la Gigantomachie, rangées à coté de Jupiter, elles tuent Agrius et Thoon. Le culte, d'ailleurs, avait exprimé cette idée de subordination en consacrant un autel aux Parques dans les temples de Jupiter, à Mégare et à Delphes.
Complétons la mythologie homérique des Parques, en disant que comme le sort de l'homme doit finir avec la mort, la Parque devient à la fin de la vie déesse de la mort, et comme telle, elle se trouve souvent en rapport avec la Mort et avec Apollon. Un temple de Proserpine, en Arcadie, renfermait un autel qui leur était consacré.


L'évolution du culte des Parques

Plus tard, l'être des Parques, à mesure qu'il se précisait dans des esprits moins poétiques que ceux des premiers âges et par le mélange des allégories philosophiques, subit de graves altérations.
Dans Hésiode, les Parques sont au nombre de trois, Clotho (la fileuse), Lachésis (la fatidique), Atropos (l'inflexible). Elles sont les filles, ainsi que les Kères, de la Nuit, qui les enfanta pour distribuer le malheur et le bonheur au moment de la naissance, et punir de leurs crimes les dieux et les hommes. Un autre passage de la théogonie, soupçonné d'interpolation, fait naître les Parques de Jupiter et de Thémis, sans doute pour exprimer qu'elles distribuent les événements de la vie conformément à la justice et à la providence, tandis que l'autre origine leur donne un caractère fatal, où l'on peut retrouver le germe du Fatum insuperabile des Romains.
On fait encore naître les Parques de l'Érèbe et de la Nuit, pour exprimer leur cruauté ; de Saturne et de la même ; de la Terre et de la Mer. Enfin, inflexibles et sourdes aux plaintes de tous, leur mère est la Nécessité, selon Platon.
Ces diverses manières de considérer les Parques, dans l'antiquité postérieure à l'époque homérique, peuvent se résumer sous deux aspects principaux: elles sont à la fois divinités du sort, et dispensatrices de la vie sur la terre:

  • Comme déesses du destin, les Parques sont souveraines, elles dirigent le gouvernail de la nécessité, et veillent à ce que le sort destiné à chaque homme par les lois éternelles se déroule sans obstacle. Les dieux et les hommes, ainsi que Jupiter lui-même, sont soumis à leur puissance. Ce sont elles qui ont confié aux Furies, leurs sœurs, une mission vengeresse.

  • Comme déités qui président à la vie humaine, elles se dédoublent sous deux aspects principaux. Présidant à la naissance de chaque homme, elles lui filent sa destinée, et prédisent le sort du nouveau-né. De là leur connexion avec Ilithyie, leur parèdre, et avec Prométhée, créateur de l'homme. De là encore leur présence aux noces de Thétis et de Pélée, et le choix qu'elles font de celle-ci pour être l'épouse de Jupiter. Aussi les fiancées lui consacraient-elles une boucle de cheveux. Au même élément se rattache leur caractère de déesses fatidiques, connaissant l'avenir. Suivant Platon, Lachésis connaît le passé, Clotho le présent, et Atropos l'avenir. On voit cependant Lachésis prédire au Soleil que l'île de Rhodes lui appartiendra. En cette qualité, elles avaient un temple à Delphes et dépendaient d'Apollon Moiragète, qui obtint d'elle la vie d'Admète.

Le culte et les représentations des Parques

Déesses chthoniennes ou infernales, on les voit souvent a côté des Kères, se disputer les corps des mourants. La croyance populaire les identifiait avec les Furies, et on leur offrait des libations d'hydromel et des fleurs. A Sicyone, on leur sacrifiait des brebis pleines. Aristophane les fait présider aux chœurs des initiés d'Éleusis, dans les enfers. Les Orphiques les représentent se joignant aux Grâces, pour ramener en dansant Proserpine à la lumière du jour. Enfin, les poètes et les artistes les faisaient figurer auprès de Pluton. Elles avaient des temples àThèbes, à Delphes, à Corinthe et à Olympie.
On représente habituellement Clotho comme ourdissant les fils, tandis que Lachésis les tisse et qu'Atropos les coupe. Mais on ne trouve, chez les poètes non plus que sur les monuments, nulle trace de ce mode distinct de figuration, qui n'appartient pas à l'antiquité. Ainsi que nous l'avons dit, un bas-relief du musée Pio-clémentin représente une Parque seule. Un autre bas-relief de la même collection les offre au nombre de deux, l'une filant, l'autre tenant un volume et une baguette. D'autres fois, dans les poètes, on les dépeint comme filant toutes trois. La plus ancienne manière de figurer les Parques parait être celle qui leur donne pour attributs des bâtons ou des sceptres, et des couronnes d'or. Plus tard on assigna la quenouille à Clotho.
Habituellement les poètes figurent les Parques comme de vieilles femmes très-laides (boiteuses, suivant Lycophron). Atropos, dans Hésiode, est plus petite et plus âgée que ses sœurs. L'art, au contraire, les représente sous la forme de vierges aux traits austères et avec différents attributs: Clotho tenant la quenouille ou le rouleau ; Lachésis, ainsi que la muse Uranie, avec laquelle on l'identifiait à Athènes, indiquant la destinée sur un globe, ou tenant un rouleau, ou écrivant ; Atropos, avec la balance, le cadran solaire ou des ciseaux. En leur qualité de déesses fatidiques, on les trouve quelquefois avec des plumes sur la tête. Elles étaient voilées à Corinthe. A Mégare, Théocosme les avait sculptées sur la tête de Jupiter. On les voyait aussi sur le trône d'Apollon à Amyclée et sur le coffre de Cypsélus. Quant aux Parques romaines, une cassette étrusque les offre sous la figure de vieilles femmes en longs manteaux.

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